Quelle perspective pour l’Amérique Latine dans les négociations sur le climat ?

Columna opinión de Flavia Liberona Directora de Terram publicada en www.progressistespourleclimat.fr el 29 enero 2015 (idioma francés)


L’année 2015 est cruciale pour l’avenir de l’humanité. En décembre, les gouvernements de 196 pays devront signer un accord mondial légalement contraignant qui devra permettre de réduire de manière rapide et efficace les émissions des gaz à effet de serre (GES). L’objectif est que la température moyenne de la Terre n’augmente pas au-delà de 2°C à la fin de ce siècle. Or, l’histoire des négociations annuelles sur le climat – appelées Conférence des Parties ou COP – nous a montré qu’atteindre un tel accord n’est pas une tâche facile. La dernière séance de négociations, qui a eu lieu au mois de décembre dernier dans la capitale péruvienne, Lima, n’a pas été une exception. Vues de la société civile, les avancées de cette négociation ont été minimales.

Des implications directes sur nos modes de vie

Et pour cause, les raisons qui freinent l’adoption d’un accord mondial légalement contraignant ne sont pas faciles à aborder : car si les pays décident effectivement de réduire leurs émissions de GES, cela aura des implications directes sur notre mode de vie. En effet, l’augmentation constante des émissions de GES est étroitement liée au modèle de développement dominant, qui repose sur la consommation, notamment des classes dominantes, tant dans les pays développés que dans les pays émergents. Ce modèle est basé sur une extraction et une exploitation toujours plus importante des ressources naturelles et sur une consommation d’énergie toujours accrue.

Les pays signataires de la Convention des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) se trouvent donc face à un dilemme, et en particulier les pays en voie de développement pour qui la promesse d’un niveau de vie meilleur va de pair avec un niveau de consommation plus élevé.

De fait, la Convention pose un problème dont la solution est complexe : l’objectif principal est de réduire les émissions, mais de le faire de façon équitable, et sans porter préjudice au développement des pays du Sud. Comment concilier les deux ?

Malgré toutes les données scientifiques qui nous alertent sur le fait que nous sommes sur une mauvaise trajectoire, et que par conséquent l’humanité va devoir affronter des problèmes toujours plus importants, la machine productive ne ralentit pas et les émissions continuent à augmenter. Et malgré les derniers rapports alarmants du GIEC qui indiquent que nous serons confrontés à des problèmes d’une ampleur que nous n’avons jamais connue, nos gouvernements n’arrivent pas à cet accord si nécessaire. Ces informations ne sont visiblement pas arrivées aux preneurs de décision, qui continuent à penser à court terme, ou à croire que quelques changements technologiques nous permettront de sauver la situation, sans qu’il ne soit nécessaire de modifier notre mode de vie. Malheureusement, tout porte à croire qu’ils se trompent et que le temps ne joue pas en notre faveur.

Une responsabilité commune

Les résultats de la conférence des parties de Lima (COP20) de décembre dernier ne furent à cet égard pas une grande surprise, et dans une certaine mesure, on pourrait même dire qu’ils furent un échec patent, car contrairement à ce qui était prévu, les pays ne sont pas arrivés à produire une version préliminaire du texte de l’Accord de Paris. Une petite avancée tout de même : les pays ont réussi à signer « L’Accord de Lima », qui établit les principes directeurs du travail à effectuer dans les prochains mois. Un de ces principes a une importance particulière, bien que cela semble évident : c’est que tous les pays sont responsables de la réduction des émissions.

Un casse-tête chinois

Pour être clair, nous ne sommes pas tous égaux et n’avons pas tous les mêmes intérêts. Mais si les responsabilités sont différenciées, comme l’affirme le texte de la Convention, écrit en 1992, celles-ci ont évolué dans le temps en mêmes temps que la situation économique des pays. Ce qui en définitive signifie que les pays qui il y a 20 ans avait des émettaient peu de gaz à effet de serre, peuvent les avoir augmentés de façon significative, ou inversement.

Les négociations internationales reflètent toute cette complexité, et chaque pays s’y rend avec son histoire, la façon dont il se projette dans le futur, ses déterminants économiques, sa vulnérabilité au changement climatique… Tous ces facteurs pèsent sur les négociations et déterminent les coalitions qui se forment entre pays, sur la base de leurs intérêts communs. Et bien entendu, certains pays démontrent un intérêt ou des dispositions plus élevés pour proposer des engagements légalement contraignants, mesurables et vérifiables, alors que d’autres bloquent les négociations ou adoptent une attitude passive.

L’Amérique latine : vulnérable… et émettrice

En ce qui concerne l’Amérique Latine, la région contribue peu aux émissions mondiales, et à première vue, son problème principal est surtout d’être vulnérable aux effets du changement climatique. Mais les choses sont en réalité un petit peu différentes. D’une part, si on se penche sur les émissions de GES par habitant, la plupart des pays de la région dépassent la moyenne mondiale de 6,6 tonnes de CO2 équivalent par habitant, mais également, et de façon surprenante, la moyenne de l’UE (9,6 tCO2eq/hab). Si l’on considère par exemple l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, l’Equateur, le Paraguay, le Pérou, l’Uruguay et le Vénezuela, on se rend compte que la moyenne de leurs émissions est de 9,8 tCO2eq/hab.

On en tire comme conclusion que la réduction des émissions devrait être un objectif important pour ces pays, au même niveau que la mise en œuvre de mesure d’adaptation au changement climatique. Mais si le discours des leaders régionaux reconnait explicitement cette nécessité, les gouvernements nationaux, y compris les gouvernements « progressistes » sont occupés à la mise en œuvre de politiques d’extraction des ressources minières et des hydrocarbures. En revanche, la mise en œuvre de politiques d’adaptation est pratiquement inexistante.

Pourtant, on estime que les effets du changement climatique en Amérique Latine coûteront entre 1,5 et 5 % du PIB de la région. Alors qu’attendent nos gouvernements pour s’engager de façon solide et établir des alliances avec des pays ambitieux dans la lutte contre les émissions ? Les dépenses publiques nécessaires pour cette politique sont clairement un frein à l’action politique.

Dans le cas du Chili, il a été montré que le pays avait augmenté ses émissions de GES en raison de la mise en œuvre d’un modèle de développement intensif en énergie. Donc même si le gouvernement chilien s’est engagé volontairement en 2009 à réduire ses émissions, il est peu probable, au rythme actuel, que les objectifs soient atteints. En ce qui concerne l’adaptation, le Chili met en avant son plan d’adaptation, mais en réalité, la mise en œuvre n’a pas commencé, et les financements restent à mobiliser.

Un rôle pour les citoyens

C’est pour ces raisons que tout au long de l’année 2015, il sera important que les citoyens de chaque pays exposent la situation de leur pays, participent aux processus nationaux et exigent des leaders qu’ils s’engagent à des objectifs ambitieux dans leurs contributions nationales. Pour qu’un accord mondial puisse être mis en œuvre, il faut qu’il existe un lien entre les engagements internationaux et les politiques nationales. Les pays latino-américains ont démontré leur bonne volonté en mettant sur la table des engagements ambitieux. Mais ceux qui habitent dans la région savent que ces engagements sont trop rarement mis en œuvre, et que les institutions nationales sont parfois trop faibles. C’est pour cela que la société civile, partout, doit assumer un rôle de leadership et pousser le gouvernement à mettre en œuvre des politiques visant à freiner le changement climatique.

Réduire les émissions des GES de façon significative, et stabiliser la température de la Terre demanderont sans aucun doute un effort majeur. Les gouvernements, qui devront signer l’accord, mais également les grands groupes industriels qui encouragent ce modèle de développement et en bénéficient, devront participer à cet effort.

Flavia Liberona Céspedes est biologiste et directrice de la Fondation Terram, au Chili.

Fuente: http://www.progressistespourleclimat.fr/archives/562


Publicado en: Opinión

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